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Vignette 1

15 avril 2019

L’OBSCURITÉ À MIDI

Il me semble avoir entendu une voix qui appelait dans mon être le plus intime: Sacrifie la chose que tu aimes le plus dans le sentier de Dieu, de même que Husayn - qu'il repose en paix - a offert sa vie pour l'amour de moi.
- Le Báb -


Trois rangs de 250 fusils étaient pointés sur les deux hommes suspendus par un clou à un mur de la caserne à Tabriz au nord-ouest de l’Iran. Quelque 10 000 personnes s’étaient rassemblées dans la cour de la caserne et sur les toits pour voir l’exécution de celui qui s’était déclaré le Báb, le porteur d’un message divin qui allait transformer la vie spirituelle de l’humanité.



Le jour précédent, le Báb avait été escorté vers sa cellule de prison dans la caserne en traversant la ville de Tabríz, non pas dans une procession triomphale comme il l’avait déjà été, mais enchaîné et sans sa ceinture et son turban verts, symboles de sa lignée en tant que descendant du prophète Muhammad. Cette fois, la foule ne s’était pas jetée à ses pieds lui implorant sa bénédiction, mais l’avait bombardé d’injures, de déchets et de coups, quand possible. Un jeune homme s’était soudainement jeté à ses pieds. « Ne me renvoie pas, ô mon maître! Laisse-moi te suivre partout où tu vas. » « Muhammad 'Alí, lui avait répondu le Báb, lève-toi, et sois certain que tu seras avec moi. »

L’amour qu’avait Anís pour le Báb était si grand que son père l’avait récemment confiné à sa chambre, craignant qu’il ne commette un acte insensé. Après des heures de prières ferventes et presqu’inconscient, Anís entendit soudainement la voix du Báb l’appelant : Réjouissez-vous; l'heure approche où, dans cette même ville, je serai pendu sous le regard de la foule et tomberai victime du feu de l'ennemi. Je ne choisirai personne d'autre que vous pour partager avec moi la coupe du martyre. Soyez assuré que cette promesse que je vous fais se réalisera. Anís quitta sa chambre et rejoint avec joie sa famille, dont nul ne soupçonnait ses véritables intentions.

L’influence grandissante du Báb dans toute la Perse rendit furieux Mírza Taqí Khán, le nouveau premier ministre du jeune roi Nasiri’d-Dín Sháh. Il décida de mettre fin à cette hérésie monstrueuse en coupant la tête de celle-ci. Un décret de mort fut donc émis contre le Báb.

Le Báb rayonnait de joie. Enfin, son vœu le plus cher serait finalement accompli. Dans cette cellule obscure qu’il partageait avec son secrétaire, Siyyid Husayn, et quelques Bábís, il offrit à ses compagnons un sourire éclatant. « Demain sera le jour de mon martyre. Oh! Si quelqu'un parmi vous pouvait se lever maintenant et, de ses propres mains, mettre fin à ma vie! Je préfère être tué par la main d'un ami que par celle d'un ennemi. »

Ses compagnons furent profondément horrifiés par ses paroles. Quoi? Mettre fin à la vie précieuse du Báb et souiller à jamais leurs âmes par le meurtre du Promis? Seul Anís se jeta à ses pieds et lui dit qu’il était prêt à réaliser tout ce qu’il pourrait désirer. Le Báb sourit à celui qui lui montrait une foi et une obéissance véritables. « Ce même jeune homme qui s'est levé pour se conformer à mon vœu, subira avec moi le martyre. C'est lui que je choisirai pour en partager la couronne. »

Le lendemain matin, le 9 juillet 1850, le soleil se leva dans un ciel sans nuages, annonçant une journée très chaude. Alors que le Báb donnaient ses dernières instructions à Siyyid Husayn, un préposé de la prison arriva avec l’ordre de faire sortir Siyyid Husayn. « Aucune force terrestre ne peut me faire taire avant que je lui aie dit tout ce que je désire lui dire, tonna le Báb. Même si le monde entier s'armait contre moi, il serait encore impuissant à m'empêcher d'accomplir, jusqu'à la dernière parole, mon intention. » Le préposé, bien qu’ahuri, sortit Siyyid Husayn de la cellule du Báb.



Sám Khán, le commandant du régiment qui avait reçu l’ordre d’exécuter le Báb, avait observé la conduite de celui-ci durant toute la matinée. Il ne trouva rien à reprocher au Báb. En fait, les manières douces, la bravoure, la noblesse évidente et la courtoisie sans faille du Báb avaient profondément touché Sám Khán. Il décida de confier ses inquiétudes au Báb. « Je professe la foi chrétienne et ne nourris aucun mauvais désir contre vous. Si votre cause est celle de la vérité, permettez-moi de me libérer de l'obligation de répandre votre sang. » « Suivez vos instructions, et si votre intention est sincère, le Tout-Puissant peut assurément vous libérer de votre embarras », lui répondit le Báb.

À midi, le Báb et Anís furent conduits de la cellule à la cour de la caserne. Pendant qu’on les attachait au clou et les suspendait au mur, Anís pria que son corps soit placé de sorte qu’il protège celui du Báb. Quand Sám Khán donna le signal, les trois rangs ouvrirent le feu l’un après l’autre, produisant des éclairs de feu et une épaisse fumée. Lorsque la fumée se dissipa finalement, la foule, les soldats et les autorités purent à peine croire ce qu’ils voyaient, car debout, complètement indemne et seul, les cordes ayant été coupées, se tenait Anís. Fait encore plus étonnant : où était le Báb?

Stupéfait par cet événement, Sám Khán renvoya immédiatement son régiment et refusa à jamais de participer à l’exécution du Báb. Pendant ce temps, on se mit activement à la recherche du Báb, et le même préposé de la prison le trouva dans sa cellule en train de donner calmement ses dernières instructions à son secrétaire. « J'ai fini ma conversation avec Siyyid Husayn. À présent, tu peux te mettre à exécuter ton dessein. » Cependant, l’homme était trop bouleversé, et il refusa d’accomplir son devoir et démissionna immédiatement de son poste.

On fit alors appel à un régiment musulman commandé par Aqá Jan Khán-i-Khamsih. On suspendit à nouveau le Báb et Anís à un seul clou, la tête d’Anís reposant sur la poitrine du Báb et son corps protégeant son bien-aimé. Le Báb s’adressa alors à la foule en disant : « Si vous aviez cru en moi, ô génération rebelle, chacun d'entre vous aurait suivi l'exemple de ce jeune homme qui était supérieur à la plupart d'entre vous quant au rang, et vous vous seriez volontairement sacrifiés dans mon sentier. Le jour viendra où vous me reconnaîtrez; ce jour-là, j'aurai cessé d'être parmi vous. »

Au moment où les 750 coups de feu ont été tirés, un grand vent d’une violence exceptionnelle se leva et balaya toute la ville de Tabríz. Un tourbillon de poussière d'une incroyable épaisseur, qui dura jusqu’à la tombée de la nuit, obscurcit la lumière du soleil et aveugla les gens. À l’exception de leurs visages, qui sont demeurés presqu’indemnes, les corps du Báb et d’Anís ont été tellement mutilés par les balles qu’ils ont été mêlés en une seule masse de chair et d'os. Les deux ont été unis en un seul corps. Bien que leurs corps aient été jetés au bord d’un fossé à l’extérieur de la ville pour qu’ils soient mangés par les animaux sauvages et être ainsi humiliés encore davantage, ils ont été récupérés par des Bábís qui ont caché le cercueil contenant les restes sacrés à différents endroits au cours des décennies suivantes, pour finalement être enterrés en 1909 dans un édifice sur le mont Carmel à Haïfa, en Israël.[1]


[1] Des années plus tard, une superstructure a été érigée sur l’édifice original et a été couronnée d’un dôme doré, complétant ainsi la construction du Sanctuaire du Báb – un site que visitent les Bahá’ís de partout dans le monde afin de rendre hommage à celui qu’ils croient avoir été le porteur d’un message divin.


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