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Vignette 2

30 avril 2019

J’AI DEUX ANS DE MOINS QUE MON SEIGNEUR [1]

Quand le directeur de l’école aperçut finalement Siyyid ‘Alí-Muhammad en train de réciter des prières derrière l’école, il résolut de l’interrompre et le punir pour ne pas être retourné en classe à l’heure. Cependant, c’était si beau de voir ce petit enfant – la douceur et la dévotion pure de son expression, son visage levé vers le ciel et baigné de lumière – que le directeur était complètement transporté. L’enfant posa enfin son front sur le sol pour une dernière révérence. Après avoir hésité un instant, le directeur s’approcha enfin du garçon – non plus avec colère mais avec admiration. « Siyyid ‘Alí-Muhammad! À qui priiez-vous avec autant de ferveur? », demanda-t-il avec un semblant d’humour et une voix légèrement chancelante. « À mon grand-père », répondit le garçon très calmement. Il parlait, bien sûr, du prophète Muhammad.



Le don qu’avait Siyyid ‘Alí-Muhammad pour la prière toucherait de nombreuses personnes qui avaient les yeux et les oreilles de l’esprit ouverts. Tous les êtres humains naissent avec des dons quelconques – certains créent des peintures qui transportent l’imagination; certains font de la musique ou dansent merveilleusement ou découvrent de lointaines planètes ou des particules invisibles. Toutefois, Siyyid ‘Alí Muhammad avait un des dons les plus rares : il était doué d’une âme si claire et si pure et d’un amour pour Dieu si grand que lorsqu’il priait c’était comme si on pouvait voir Dieu se mouvoir en lui comme une grande baleine blanche sortant majestueusement des eaux émeraude miroitantes, ou comme un énorme soleil orange se levant du centre de son être.

Le directeur d’école, Shaykh ‘Ábid, ne savait pas quoi faire avec cet élève brillant. À chaque instant, la sagesse de cet enfant de sept ans déclarait sa propre ignorance. À chaque fois que l’occasion se présentait, ce garçon montrait une compréhension du Qur’án qui dépassait de loin la sienne. Il décida donc de renvoyer le garçon à la maison et de confesser qu’il n’était pas qualifié pour lui enseigner adéquatement.

Hají Mirzá Siyyid ‘Alí était l’oncle maternel du garçon et le tuteur légal de celui-ci et de sa sœur depuis la mort de leur père. Il n’était pas content de voir le directeur d’école arriver avec son neveu. Qu’est-ce qu’il a encore fait? pensa-t-il. Ce n’était pas que Siyyid ‘Alí-Muhammad avait déjà été un mauvais garçon. C’était plutôt qu’il était différent. Dès sa naissance à Shíraz, au sud-ouest de l’Iran, aux premières lueurs de l’aube du 20 octobre 1819, il pleurait rarement, jouait tranquillement et était d’humeur égale. Quand il parlait, il disait les choses les plus étonnantes. Son oncle voyait à quel point les gens étaient attirés au petit garçon.

« Je l’ai amené auprès de vous, dit Shaykh ‘Ábid, et je remets sa protection entre vos mains. Il n’est pas un enfant comme les autres, car je vois déjà en lui les signes d’une toute-puissance que seul le Promis peut révéler. Il n’a aucun besoin d’enseignants comme moi. »

« As-tu oublié mes instructions? demanda son oncle. Ne t’ai-je pas demandé de suivre l’exemple de ton maître, d’observer le silence et d’écouter attentivement chacune de ses paroles? »



Néanmoins, le garçon retourna à l’école, et quand il atteint l’âge de 17 ans, son oncle, qui était marchand, l’envoya au port de Bushíhr ouvrir une boutique. Parce qu’il était un descendant du prophète Muhammad, il portait un turban et une ceinture de couleur verte, emblèmes de sa lignée. Ses activités marchandes prospérèrent rapidement. Siyyid ‘Alí Muhammad était connu pour son honnêteté et son intégrité, et les gens étaient attirés à sa nature profonde et pieuse. Les personnes qui le voyaient prier dans la mosquée étaient parfois émues aux larmes. En 1842, alors qu’il avait 22 ans, Siyyid ‘Alí Muhammad rentra à Shíraz pour épouser Khadijih Bagum.

Khadijih Bagum et Siyyid ‘Alí Muhammad étaient cousins et voisins et avaient grandi ensemble. Quand son cousin partit pour Bushíhr, Khadijih le vit en rêve se tenant debout dans un champ de belles fleurs. Il faisait face à la Mecque et portait un manteau dont les revers étaient richement brodés de versets du Qur’án. Son visage rayonnait comme le soleil de midi. Peu de temps après leur mariage, elle découvrit qu’elle était enceinte. Toutefois, quand le temps fut venu de donner naissance, il y eut des complications qui menaçaient sa vie et celle de l’enfant. La mère de Siyyid ‘Alí Muhammad lui supplia de les sauver. Il lui donna alors une prière écrite sur un miroir qu’elle devait placer devant son épouse. Leur fils naquit sans problème, mais il mourut peu après. Sa mère n’arriva pas à comprendre comment il pouvait avoir une telle puissance mais ne pouvait pas sauver son fils. Bien que Siyyid ‘Alí-Muhammad fut attristé, il répondit qu’il n’était pas destiné à avoir un enfant.

Khadijih Bagum reçut aussi un autre choc, un qui changerait à jamais sa vie. Une nuit, son mari se leva du lit et quitta la chambre. Elle ne s’en soucia pas, jusqu’à ce que son absence ne se prolongea à plus d’une heure. Curieuse, elle vit une lumière dans la pièce au deuxième étage et décida de prendre l’escalier pour aller voir, bien qu’avec chaque marche elle ressentit son anxiété augmenter. Quand elle arriva en haut de l’escalier, elle vit son mari debout au milieu de la pièce, ses bras levés vers le ciel, son visage inondé de larmes, chantant des prières d’une voix magnifique. De son visage émanait une lumière qui se reflétait dans les vitraux, changeant ceux-ci en joyaux qui lui brouillèrent la vue. Tremblante et pris au sol par la peur, elle ne pouvait pas bouger. Siyyid ‘Alí-Muhammad fit alors un bref mouvement de la main qui la libéra. Elle descendit rapidement l’escalier et rentra dans leur chambre.

Le lendemain matin, elle avait peur de voir son mari et elle s’éloigna de lui quand il s’assit avec elle pour le petit déjeuner. Il lui demanda pourquoi elle paraissait si anxieuse. « Ô mon mari! C’est le changement en vous qui pèse dans mon esprit. Nous nous connaissons depuis l’enfance, nous sommes mariés et vivons dans cette maison depuis deux ans, mais maintenant je vois une personne différente devant moi. Vous avez été transformé, et cela me rend anxieuse et inquiète. Son mari sourit.

« Je n’avais aucunement le désir que vous me voyiez hier soir, mais la Volonté de Dieu l’a décrété afin que vous n’ayez aucun doute. Vous devriez savoir avec une certitude absolue que je suis cette Manifestation de Dieu dont la venue est attendue depuis mille ans. Cette lumière émane de mon cœur et de mon être. »

Aussitôt que Khadijih Bagum entendit ces paroles, elle n’hésita pas. Elle s’agenouilla à ses pieds, le cœur maintenant calme et assuré, et promit de le servir tous les jours de sa vie, ce qu’elle fit avec parfaite humilité et fermeté.

[1] Hadith (tradition) islamique attribué à l’Imam ‘Alí, qui donne un indice quant à la naissance du Promis. Le Báb est né en 1819 et Bahá’u’lláh en 1817.


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